Recension d’ouvrage- The Frontlines of Peace de Séverine Autesserre

Thierry Santime
4 min readJun 4, 2021

Après les multiples revues/recensions de l’ouvrage The Frontlines of Peace de Séverine Autesserre, je me suis demandé un temps s’il était nécessaire d’en faire une autre.

J’en suis venu à la conclusion qu’il n’y avait rien de superfétatoire à proposer une brève recension de cet ouvrage de qualité que je recommande à celles et ceux qui s’intéressent aux questions de paix et sécurité, aux enjeux de développement international, relations internationales ou simplement aux esprits curieux. La plupart des recensions de ce livre étant en anglais, j’espère que cette modeste contribution en langue française fera des heureux parmi les amoureux de la langue de Molière.

Séverine Autesserre est professeure de sciences politiques à la faculté Barnard de l’Université de Columbia (États-Unis). Avant The Frontlines of Peace, elle a rédigé The Trouble with the Congo et Peaceland.

Espoir

Lorsque j’ai commencé la lecture de The Frontlines of Peace, j’ai été marqué par l’histoire de Luca car celle-ci me rappelait une rencontre émouvante que j’avais faite avec un ex « Kadogo » (enfant soldat) à Kinshasa en 2016. J’avais d’ailleurs écrit un blog à ce sujet. En voici un extrait : « Lors de mon dernier voyage à Kinshasa, ma ville natale, l’année dernière, je me suis rendu chez un « coiffeur de rue », autrement dit, un de ces nombreux coiffeurs qu’on trouve dans la mégalopole kinoise, qui peut-on dire, pratiquent leur activité à l’air libre, ne disposant pas d’un salon de coiffure conventionnel, mais se contentant d’une simple tente. Lors de notre discussion, il m’a révélé qu’il était un ancien « kadogo » ou « enfant-soldat ». Le jeune homme a d’ailleurs une mobilité réduite, une des séquelles visibles de cet épisode de sa vie. Il était dépité, décontenancé et furieux du fait que les primes et compensations qui leur avaient été promises n’ont pas été accordées jusqu’à présent. J’ai néanmoins beaucoup apprécié son courage, son optimisme et son abnégation au travail. » Revenons à l’histoire de Luca. Ce jeune garçon qui a été enrôlé de force dans un groupe armé, a subi toutes sortes de violations, humiliations et a vu une partie de sa tendre jeunesse être sacrifiée sur l’autel d’intérêts qui étaient loin des siens. Malgré cet épisode trouble, Luca a eu la chance de regagner le domicile familial et après moult vicissitudes, comme le déclara sa mère : « Mon fils veut maintenant tenir un crayon au lieu d’un pistolet ». Pour moi, The Frontlines of Peace est une œuvre qui inspire, exemplifie et symbolise l’espoir.

Changer de paradigme

L’espoir d’un monde plus pacifique, à condition de changer de paradigme. La professeure Autesserre, qui a l’avantage d’avoir pratiqué pendant plusieurs années dans le domaine du développement international/humanitaire avant de faire carrière dans l’enseignement et la recherche sait bien de quoi elle parle. Le changement de paradigme dont il est question fait référence à la nécessité de passer d’une approche conventionnelle que l’auteure qualifie de Peace, Inc. vers une approche davantage ancrée sur les ressources, savoirs et priorités/besoins locaux. Ce qui est particulier et si attachant avec cet ouvrage est qu’il montre en quelque sorte des success stories, c’est-à-dire des exemples qui marchent, des modèles, même si évidemment tout n’est pas parfait.

En bref, Sévérine Autesserre montre qu’il est nécessaire de se baser davantage sur une approche participative, qui reconnaît et promeut l’agentivité des populations locales (pas seulement les élites, mais les associations de la société civile, les initiatives citoyennes, les citoyens ordinaires) au lieu d’une approche qui donne carte blanche à l’ « expertise » extérieure et aux élites locales et minore l’apport des organisations citoyennes et des citoyens ordinaires qui souffrent dans leur chair des atrocités et horreurs des conflits. De nombreuses études de cas viennent soutenir l’argumentation de l’auteure, que ce soit l’Île d’Idjwi en RDC, le Somaliland (région autonome de la Somalie, en réalité un État de facto) , San José de Apartadó en Colombie ou encore Wahat al-Salam — Neve Shalom, l’ « oasis de paix » qui unit Juif et Arabes en Israël. Même au milieu de situations chaotiques, il y a des lueurs d’espoirs, des success stories. Même si chaque situation de conflit a sa particularité et ses complexités, le livre de la professeure Autesserre a le mérite de fournir d’intéressantes pistes pour sortir d’une approche qui a montré ses limites. Pour cela, il faut remiser au placard certains clichés ou pratiques qui ont la peau dure, comme la prétention que les experts étrangers (ou les idées/recettes concoctées depuis New-York, Genève ou Paris) sont les mieux placés et les mieux outillés pour trouver des solutions aux conflits qui touchent un pays en Afrique ou au Moyen-Orient ou encore l’idée de croire que pour résoudre les conflits, il faut mobiliser des millions de dollars, organiser de conférences dispendieuses ou se contenter d’ “accords de paix” entre les “gens d’en haut”, entendez les élites, responsables gouvernementaux, chefs rebelles… Il faut plutôt davantage : non seulement impliquer mais surtout promouvoir le leadership des acteurs locaux (de façon inclusive), que ce soit pour le design (conception) ou encore la gestion des projets, initiatives de promotion de la paix, avec le soutien technique ou financier bienveillant d’organisations internationales/étrangères œuvrant avec humilité et non prétention de supériorité.

Ayons bon espoir que cet ouvrage contribuera d’une façon ou d’une autre à faire bouger les lignes, pour un monde plus pacifique. Chacun de nous a un rôle à y jouer: la paix, c’est nous tous!

Page dédiée à The Frontlines of Peace sur le site web de Séverine Autesserre : https://severineautesserre.com/sa_book/the-frontlines-of-peace/?lang=fr

--

--

Thierry Santime

Policy analyst. Diplomé de la maîtrise en Affaires publiques et internationales,Université d’Ottawa et du Bsc en Economie et politique,Université de Montréal.